Le Son des Mômes – 2023-2025

Le Son des Mômes est un projet de créations musicales sur 3 années, à destination des classes maternelles de Roanne. Il est porté par le Conservatoire Musique Danse Théâtre de Roannais Agglomération, l’association Mômeludies, avec le soutien de la Ville de Roanne et Roannais Agglomération.

La première édition est soutenue par l’association Clavichords et le Fonds Musical pour l’Enfance et la Jeunesse – JM France.

Fait avec Padlet

Fait avec Padlet

Interview de Jérémie Esperet

Jérémie Esperet est compositeur de musique à l’image et professeur de création musicale et sonore au conservatoire Musique Danse Théâtre de Roannais Agglomération (en binôme avec Octavian Saunier, professeur de FM et organiste). Il enseigne dans ce cadre à l’école élémentaire d’application Jules Ferry de Roanne (en binôme avec Armelle Loppin, musicienne intervenante), et fait donc partie des artistes enseignants qui travaillent au cœur du projet du Son des Mômes.

Est-ce que tu connaissais les Mômeludies avant ce projet ?

Le nom et le visuel des partitions me parlaient, j’ai souvent travaillé en lien avec le Cefedem, et par extension avec le CFMI, et les intervenants en avaient apporté sur des projets. C’est vraiment l’année dernière que j’ai découvert le répertoire, j’ai remplacé Raphaël notre prof de basse sur le concert Mômeludies pendant le festival du Cri du Roa, et à cette occasion j’ai joué une dizaine de pièces.

Classe de création musicale et sonore (« compo ») de l’école Jules Ferry :

Le dispositif est prévu sur 3 ans avec une même classe qui ira du CE2 au CM2, c’est bien ça ?

Oui tout à fait, les compositeurs invités changent chaque année et l’ampleur du projet aussi, c’est pensé comme un parcours avec une progression. 

Comment abordes-tu la composition avec ces enfants, avec quelle méthode, quels outils ? 

Ayant un parcours musical très mixte, je pars souvent des procédures issues de la musique à l’image ou des musiques actuelles pour aborder la composition. Très souvent, quand les élèves sont jeunes, c’est pratique de s’appuyer sur une narration extra musicale (un conte, une thématique, un scénario…) car c’est quelque chose qui donne immédiatement du sens à la notion d’esthétique et de forme. Si on ne part de rien, le démarrage est difficile et on retombe souvent sur les références du moment. 

A l’inverse, si on doit par exemple « planter le décor d’une forêt », on reste libres esthétiquement mais la contrainte justifie le processus de choix. Et quel que soit ce qui est proposé, on peut le mettre en regard de cette efficacité narrative.

J’aborde ensuite souvent du plus grand au plus petit, parce que je trouve ça assez intuitif (mais c’est personnel). 

Je commence donc par les faire réfléchir sur comment penser la forme (combien de parties, pourquoi ?). 

Les enfants sont proches du monde des histoires donc ça leur parle – et au fond, une bonne vieille forme sonate, c’est la même trame qu’un conte ! Situation initiale, élément déclencheur, péripéties…

Ensuite, au départ de ce qui se construit, je réagis. 

Je les pousse à soulever ce que j’appelle les « questions de musiciens », et au-delà, les interrogations que tous les artistes se posent. « Quand est-ce qu’on sait qu’on a fini ? » Quand un enfant de 8 ans pose cette question à une artiste peintre invitée, pour moi c’est gagné, parce que c’est une vraie question d’artiste. 

Je leur fait aussi remarquer certains aspects de ce qu’ils font quand il le font, pour qu’ils identifient à la fois ce qu’ils peuvent essayer quand ça ne marche pas mais aussi peut-être pourquoi ça a pu fonctionner. Si l’opportunité se présente, je propose des contraintes sur les jeux musicaux pour qu’ils se retrouvent à un endroit où les choses peuvent devenir riches d’apprentissages. 

Ensuite, je peux leur faire écouter des choses qui illustrent leurs questions et nourrissent le problème. Est-ce qu’on peut faire de la musique qu’avec du rythme ? Je sors un morceau. Est-ce que majeur c’est forcément joyeux ? Je sors un morceau triste en majeur. Etc. J’adore l’idée qu’ils aient toujours plus de questions que de réponses à la fin, pour moi c’est vraiment la base du processus créatif. Et le fait qu’il faille être réactif me pousse moi à toujours aller chercher aussi. 

Quelle progression envisages-tu ? 

Je pense que la progression va se jouer dans la durée de création et dans sa complexité. 

Avec l’âge, la motricité fine progresse aussi énormément, et il n’est pas non plus impossible que les créations intègrent des instrumentistes à l’avenir. Il n’y a pas de mur entre le monde de l’école et le monde du conservatoire, les enfants ont aussi leur culture et leur expérience de la musique. Ce n’est pas parce qu’on n’est pas au courant qu’ils n’ont pas déjà une chaîne YouTube et qu’ils ne filment pas des reprises dans leur chambre ! Je trouve qu’au plus on se rapproche de l’adolescence, au plus l’envie de s’assumer en tant qu’identité apparaît, et la progression viendra aussi sûrement du fait que certains vont vouloir jouer un autre rôle au sein du groupe.

Tu enseignes dans cette classe en binôme avec Armelle Loppin, qui est MI. Est-ce différent de ce que tu fais avec la classe de création musicale et sonore du conservatoire, ouverte à des enfants du même âge ?

Au conservatoire, le public est déjà acquis, les jeunes vont beaucoup plus vite car ils ont tous une pratique instrumentale à côté. On peut mettre leur pratique de la composition en regard de leur expérience d’instrumentistes, et on va tout de suite aller vers la possibilité de faire jouer par d’autres sa musique, puisqu’ils peuvent se projeter sur une expérience d’interprète. La notion d’orchestration arrive plus tôt.

Pour les groupes scolaires, je pense que cela serait trop virtuel, dans un premier temps il faut qu’ils puissent chanter, danser, jouer leurs créations pour que cela soit vivant et fasse sens pour eux. C’est pour moi la grande différence entre les deux dispositifs, avec la formalisation : au conservatoire on va aussi faire le lien avec une culture technique de la musique, alors que dans un groupe scolaire savoir écrire une partition n’est pas forcément l’enjeu le plus vivant. Pour moi, les outils sont toujours une question de contexte.




Pourquoi le choix d’un binôme d’enseignants ? Comment organisez-vous les interventions avec Armelle ? 

Le milieu scolaire a vraiment une manière de fonctionner, des rituels, des dynamiques particulières, et c’est génial de travailler avec une musicienne intervenante car elle maîtrise parfaitement ces aspects. C’est toujours une question d’habitude, quand on change de public les réflexes pédagogiques doivent s’adapter, et la capacité à animer une intervention en classe est vraiment un métier. Avec Armelle, on partage nos idées en amont et on interagit en direct sur la séance afin de toujours mettre en avant les idées les plus vivantes du partenaire. C’est très riche de travailler à deux en pédagogie, l’autre voit toujours ce que l’on ne peut pas voir.  Face à un groupe c’est inévitable d’avoir un ressenti de tête dans le guidon, c’est comme être sur scène, on a très peu d’objectivité sur ce que l’on a réellement fait. Que ce soit dans la préparation de la séance, dans le déroulé ou dans le débriefing (étape essentielle…), la synergie est vraiment importante. 

Classe « compo » du conservatoire :

Depuis quand existe-t-elle ?

C’est la deuxième année, et cette année, elle a pour nouveauté de s’être rapprochée du cursus de formation musicale, à la fois pour recruter plus d’élèves mais aussi parce que composer donne du sens au fait de s’intéresser à la théorie musicale. On apprend tellement mieux les outils quand on a besoin d’eux. 

Là aussi, vous êtes deux enseignants : toi-même donc, et Octavian Saunier, qui est prof de FM et organiste. Qu’apporte ce choix, qui est différent du binôme pour la classe Jules Ferry ? 

La grande force de ce binôme, c’est que nous avons des profils très complémentaires : Octavian est vraiment un spécialiste de la musique ancienne et classique, et en ce qui me concerne j’ai beaucoup plus évolué au sein des musiques actuelles, électroniques et jazz. Mais j’ai aussi une formation classique (hautboiste pendant 10 ans, plus la composition…) et lui a une grande curiosité et une grande ouverture esthétique, ce qui fait qu’on peut rebondir tout le temps et se compléter. L’air de rien, enseigner la composition revient à avoir les idées claires sur une masse colossale d’informations, et le fait d’avoir deux cerveaux complémentaires quand on en vient à formaliser plus, à théoriser davantage, est toujours hyper intéressant. 

Comment vous répartissez-vous les tâches ? 

On prépare la séance à deux, on se voit une matinée par période de vacances scolaires pour construire le plan général et on se revoit plus rapidement avant chaque cours. Octavian a bien plus de charisme que moi alors c’est souvent lui qui présente les choses, on se passe la parole et quand je suis trop long il intervient. Très souvent, on se sert du piano pour illustrer musicalement ce que l’autre explique, on interagit beaucoup. Il y a un travail de coordination sur les projets aussi, assumé par l’un ou l’autre en fonction des disponibilités du moment.

Quels dispositifs inventez-vous ?

L’année dernière, les élèves étaient beaucoup moins nombreux alors nous avons pu facilement les intégrer à tout ce qui se présentait. L’idée, c’est très simple : on répond présent à tout ce que l’on peut dénicher comme commande de création. 

Ils ont mis en musique des poèmes en lien avec la classe de chant. 

Ils ont écrit une pièce en résonance avec un tableau de Marielle Paul, une artiste peintre invitée par le musée Joseph Déchelette, avec laquelle ils ont échangé en visio (elle travaille sur Paris). Ils sont allés jouer directement face aux œuvres, dans le musée. On voulait faire vivre la sensibilité, provoquer le choc artistique. On sait bien que ça passe avant tout par là…

Ils ont rencontré un photographe et travaillé sur la forme en triptyque, les contrastes, la couleur.

Ils ont remis en musique un court métrage diffusé dans le cadre du festival Ciné court Animé, organisé à Roanne.

Chaque expérience nécessitait des outils, et on a intégré spontanément des temps d’expérimentation, comme des études préliminaires, sur les différentes notions musicales. Ils ont par exemple eu un cours sur comment construire une mélodie, et comment l’harmoniser, parce que c’est une problématique complexe et il faut parfois passer par des phases un peu théoriques pour aller plus loin. Au début ça râle, mais comme ça sert, en général, très vite tout le monde est content du nouveau savoir-faire. 

Quel est l’élément le plus marquant/important que vous retenez de votre première année avec la classe « compo » du conservatoire ?

L’événement le plus marquant pour moi était finalement de les voir petit à petit se positionner en tant qu’artistes, alors qu’ils sont si jeunes. Ils étaient tellement émerveillés de participer à des projets plus larges qu’eux, un film, rencontrer des créateurs et sentir qu’ils partagent des choses avec eux de l’intérieur. Avec la nouvelle classe, j’ai hâte qu’ils vivent ce moment collectif de fierté d’une réalisation partagée, ce moment de ressenti qui te fait passer de spectateur à acteur de la création.

Propos reccueillis par Delphine Dulong-Michel, janvier 2023